vendredi 25 février 2011

Rassemblement contre l'exploitation aurifère industrielle

Bogota, le 25 février 2011. Manifestation contre l'exploitation de l'or du Paramo de Santurban par la Greystar.
Photo : D. Fellous/Libre arbitre
Entre 300 et 400 personnes se sont rassemblées aujourd'hui devant le ministère de l'environnement pour protester contre la license accordée à la compagnie minière Greystar pour exploiter un gisement d'or dans le Paramo (haut plateau dont la végétation sert d'éponge et fixe l'eau à l'instar des glaciers) de Santurban, dans la région de Santander, au nord-est du pays.

Bogota, le 25 février 2011. Manifestation contre l'exploitation de l'or du Paramo de Santurban par la Greystar.
"Combien d'or vaut l'eau ?". Photo : D. Fellous/Libre arbitre

L'extraction du minerai, prévue à ciel ouvert, menace de détruire un écosystème fragile, de contaminer les ressources hydriques et de compromettre l'approvisionnement en eau potable des villes de Cucuta et Bucaramanga, dans lesquelles se sont déroulés simultanément d'autres manifestations, rassemblant plusieurs milliers d'habitants.


Bogota, le 25 février 2011. Manifestation contre l'exploitation de l'or du paramo de Santurban par la Greystar.
Photo : D. Fellous/Libre arbitre

Pour en savoir plus (en espagnol): l'article de Notiagen ou le site Paramo de Santurban en peligro qui détaille le projet de l'entreprise canadienne, les méthodes d'extraction prévues, les dommages encourus par les 85 lagunes et les fleuves de la région, la faune et la flore menacée, ainsi que les conséquences sanitaires et sociales pour les populations locales.


Bogota, le 25 février 2011. Manifestation contre l'exploitation de l'or du paramo de Santurban par la Greystar.
"Avant-Après l'exploitation minière. Sauvons le Paramo, sauvons l'eau, sauvons la vie.
Non à la license environnementale. La Greystar hors du Santander et de Colombie". 
Photo : D. Fellous/Libre arbitre

Après avoir bloqué un des principaux axes de Bogotá pendant deux heures environ, les manifestants ont été dispersés... par des trombes d'eau venues du ciel !


 
Bogota, le 25 février 2011. "EAU". Photo : D. Fellous/Libre arbitre





jeudi 24 février 2011

Manifestation contre la violence policière

Bogotá, 24 février 2011. Le père de Nicolas David
Neira, assassiné à 15 ans par la police colombienne.
Photo : D. Fellous/Libre arbitre

Le 1er mai 2005,  en marge de la manifestation syndicale du jour des travailleurs, un groupe de policiers de l'ESMAD (Escadron Mobil Anti Disturbios, Escadron mobile anti-émeute) tue à coup de matraques un jeune garçon de 15 ans, Nicolas David Neira. 


Bientôt 6 ans après, aucune condamnation n'a été prononcée à l'encontre des coupables de ce crime, malgré la lutte acharnée de son père pour obtenir justice. Au contraire, ce dernier a reçu de multiples menaces de mort, anonymes ou signées de groupes paramilitaires d'extrême-droite, intimidations accompagnées par un harcèlement policier permanent, perquisitions, arrestations, et fermeture du café culturel associatif dont il s'occupait. Des pressions qui n'auront jusqu'ici pas eu raison de sa détermination.


En la mémoire de Nicolas et des autres victimes de la répression, et pour demander la dissolution des ESMAD, ce corps de police tristement célèbre pour sa brutalité, environ 500 étudiants et membres d'associations de défense des droits de l'homme ont défilé aujourd'hui sur la Carrera Septima, l'une des principales artères du centre de Bogotá. 




La manifestation s'est déroulé sans violence, en partie grâce aux appels au calme du père de Nicolas, à la tête de la marche, ainsi qu'à l'inhabituelle retenue des forces de l'ordre et à l'absence remarquée des armures noires des ESMAD le long du parcours.

Bogotá, le 24 février 2011. Manifestation contre les violences policières. Photo : D. Fellous/Libre arbitre


Le cortège a fait une pause sur les lieux de l'assassinat du jeune homme, et les manifestants ont distribué des œillets noirs aux policiers (et aux policières, en forte proportion, sans doute également dans une intention de diminuer les risques d'incidents) posté(e)s devant la plaque commémorative. Ceux-ci, visiblement gêné(e)s devant l'émotion et la dignité du père de la victime n'ont d'ailleurs pas osé les refuser ; au mépris des consignes données par leurs officiers, atterrés par l'image offerte.


Bogotá, le 24 février 2011. Les policier(e)s en poste devant la plaque commémorative de l'assassinat de Nicolas David Neira par leurs
collègues de l'ESMAD n'ont pas osé refuser les œillets noirs donné par le père de la victime. Photo : D. Fellous/Libre arbitre

mardi 8 février 2011

Paro civico en Arauca

(Blocages des routes et arrêt des activités en Arauca)
 
"Nous fermons les voies
pour que s'ouvre la vie"
C’est le plus important paro depuis huit ans. Le jeudi 3 février 2011, quatre grands rassemblements bloquent les principaux axes du département d’Arauca pour exiger la libération de sept personnes détenues pour « rébellion » depuis le 25 janvier 2011. Parmi les personnes arrêtées figure Ismaël Uncasia, cacique indigène du département, président de ASCATIDAR (Association de Cabildos et Autorités Traditionnelles Indigènes du Département d’Arauca).
Le délit de rébellion en Colombie sanctionne le fait d'être lié à une guérilla. C’est une accusation régulièrement utilisée contre les opposants et souvent étayée par des « montages » (construction de preuves, utilisation de témoignages de personnes mises sous pression ou payées...). La peine encourue varie entre 9 et 14 ans de prison. Cette fois, l’accusation repose d’une part sur le témoignage d’une fonctionnaire indigène qui travaillait comme informatrice pour la force publique depuis 2003, et d’autre part sur une vidéo qui montre Ismaël Uncasia en réunion avec un groupe de la guérilla ELN (armée de libération nationale). Il est en plus accusé de financer la guérilla. Pourtant, aucune étude des comptes de l'association ASCATIDAR n'appuie cette dernière accusation. De plus, selon les indigènes, un des rôles du cacique est de discuter avec tous les protagonistes du conflit armé qui se trouvent sur leur territoire : si Ismaël est « rebelle », alors « tout le peuple U’wa et Sikuani l’est également ». Précisons qu’Uncasia fut arrêté alors qu'il portait plainte contre la police pour « interrogatoire illégal » [1] et pour le fait d’avoir été suivi en voiture par des hommes en civil armés [2]. Ismaël avait déjà fait l’objet d’une arrestation en 2004 et fut à cette occasion intimidé et torturé.
Photo : D.R.
On appelle « détention massive », les vastes coups de filets de la police dont le but est d'intimider une population, voir de la démanteler, sous l'accusation de « rébellion ». Ce procédé commence avec le gouvernement Uribe (2002-2010) qui n’hésite pas à faire arrêter des villages presque entièrement, quitte à les libérer deux ans plus tard sans charges. En Arauca, la première détention massive fut particulièrement spectaculaire : le 12 novembre 2002, 2000 personnes sont arrêtées et retenues dans le gymnase de Saravena (30’000 habitants). 96 seront conduites au bataillon local puis 43 d’entre elles finalement retenues. Les autres sortent, le bras tamponné d'un logo attestant de leur autorisation à être libres. En août 2003, 37 autres personnes sont détenues, puis en septembre de la même année 31 autres… la liste de ces opérations est longue. En tout, ce sont 500 personnes arrêtées en moins de 10 ans et la plupart relâchées sans preuves. Nombres de ces arrestations furent déclarées illégales, mais beaucoup de personnes détenues dans ce cadre sont encore sous le coup de la loi. Il y a trois mois, en novembre 2010, 17 personnes de Saravena furent blanchies du délit de rébellion après avoir passé trois ans en prison.
L’Arauca est un département situé à l’est de la Colombie, limitrophe du Venezuela. C’est une zone d’élevage et, depuis les années 80, d’exploitation pétrolière. Tous les acteurs du conflit armé y sont présents : armée, paramilitaires, FARC-EP et ELN. Dans ce département, les organisations sociales indigènes, paysannes et syndicales sont très fortes. Après avoir été abandonné des décennies par l’Etat, le département fut utilisé comme refuge pour les populations déplacées lors de la période dite de “Violences”, après 1948. Comme aucune structure ne prenait en charge les nécessités basiques, les habitants s'auto-organisèrent et créèrent en 1963 la Coopérative Agricole du Sararé (COOAGROSARARE) pour gérer le transit et la vente des denrées agricoles, ainsi que l’éducation des jeunes et des enfants. Depuis, les syndicats et organisations se sont énormément développés. En 1972, les organisations sociales organisent leur premier paro civico afin d'exiger de l’Etat des moyens pour la santé et des aides pour les terres. Lors de ce blocage, trois personnes furent arrêtées pour « rébellion ».
Le mouvement que Uncasia représente s’est fait remarquer par sa participation active au paro de 2002 qui paralysa, durant deux mois, l’entreprise pétrolière Oxy, pour protester contre l’activité des transnationales et l’action des paramilitaires. En effet, les peuples U’wa et Sikuani vivent sur ces terres et sont radicalement opposés à l’exploitation et au pillage de la « Madre tierra ». Ils réclament que soit appliqué leur droit de concertation avant une quelconque intervention sur leur territoire. La nouvelle constitution colombienne de 1991 reconnaît en effet aux indigènes souveraineté et autonomie sur leur territoire et ceci également en ce qui concerne la justice. Les indigènes considèrent ainsi que si Uncasia a commis un délit, c’est à eux de le juger.
Comme tous les autres territoires du pays renfermant de précieuses ressources naturelles, l'Arauca est également un lieu de forte répression légale et illégale qui compte un nombre incalculable de massacres et assassinats : si l'on prend en compte seulement les indigènes, en dix ans ce sont plus de 200 dirigeants ou membres de ces communautés qui ont été assassinés. Il est clair que les « plans de vie » des indigènes et autres « plan stratégique d’équilibre » des organisations sociales sont antagonistes des intérêts pétrolifères. Ainsi, l’arrivée des paramilitaires dans la région coïncide avec la décision de l’Etat d’exploiter le pétrole. Sous le gouvernement Pastrana (1982-86), l’entreprise américaine Oxy s’installe (1983) puis, dans les années 90, arrive également la compagnie espagnole Repsol. En 1988, eut lieu le paro dit de « Caño Limon », premier acte massif de résistance des populations contre l'exploitation pétrolière, où la répression de l'Etat s'exprima à coups de feu à Arauquita, blessant plusieurs manifestants.
Photo : D.R.
Les arrestations du 25 janvier 2011 surviennent alors que doivent débuter de nouveaux travaux d’exploration des sols ainsi que la construction d’un nouvel oléoduc dit du “Bicentenaire”. Cet oléoduc qui doit, entre autres, traverser des territoires Sikuani, devrait être le plus long de Colombie et lier Coveñas (département de Sucre), sur la mer caraïbe, au département voisin et pétrolifère du Casanare, traverser huit départements en 960 kilomètres et évacuer 44.8% de la production nationale. L'entreprise colombienne de pétrole Ecopetrol considère ce projet comme le plus important de tous. Une semaine avant les arrestations du 25 janvier 2011, Uncasia était en réunion de consultation avec des communautés du Casanaré, le gouvernement et la compagnie pétrolière.
Le paro commencé le jeudi 3 février, fut précédé d'une marche le lundi 31 janvier à Saravena, à laquelle participèrent 300 personnes de cinq municipalités du département. Afin de montrer leur solidarité, les entreprises de transports et les magasins cessèrent également de fonctionner. Le paro s’est traduit par quatre blocages de routes, a mobilisé plus de 2000 personnes (indigènes, paysans, étudiants, ouvriers, etc.), dans le but d’affecter les installations pétrolières liées aux territoires indigènes. Dans les faits, tout le trafic du département a été bloqué, car la région a de belles routes mais peu nombreuses. Le lundi 7 février, des écoles et des entreprises se sont jointes au mouvement en arrêtant leurs activités. Ce même jour, les autorités civiles et militaires sont venues menacer les sites de blocages et ont à nouveau arrêté puis relâché trois personnes à Saravena. Les discussions avec le gouvernement ont débuté dès le dimanche suivant et portaient notamment sur les revendications suivantes : cesser de criminaliser le mouvement social, la libération des sept personnes détenues, la création d’une commission de consultation nationale, le respect des droits d'autonomie des indigènes, la création d’une commission de vérification et de suivi de la situation des peuples indigènes et paysans en zone de conflit et d'exploitation pétrolière. Finalement, le paro est levé officiellement le vendredi 11 février alors que débute la commission de suivi demandée. Cela étant, les indigènes et les autres organisations sociales se déclarent en mobilisation et assemblée permanente dans un communiqué qui fait état de leur méfiance quant à la réalisation de leurs revendications.
Photo : D.R.
Il est étonnant que le paro ait été levé avant les libérations attendues. On peut imaginer que des promesses ont été faites lors de premiers pourparlers car les organisations sociales, comme elles l’ont déjà démontré par le passé, ont toute capacité à tenir longtemps ces blocages. Le nouveau gouvernement colombien, depuis l'élection de Santos, construit une nouvelle image, plus à l'écoute et moins répressive. Il faut cependant savoir que Santos était ministre de la défense nationale sous le gouvernement Uribe [3] et qu'il est issu d'une très grande famille colombienne qui, comme une bonne partie de la bourgeoisie traditionnelle, voyait son business terni par l’image de parapoliticien d’Uribe. Ainsi, dans cette nouvelle stratégie de début de mandat, peut-être était-il mal venu d'attaquer de front cette révolte. De plus, le fait que les détenus soient indigènes laisse une porte de sortie juridique et politique au gouvernement. Il pourrait donc céder là-dessus. En revanche, on doute de sa qualité d'écoute sur les thèmes liés à l'exploitation du pétrole. Alors que Santos fait sa pub sur une potentielle remise de terres aux millions de déplacés, il autorise et encourage la cessation de terrains aux entreprises minières et pétrolières. On raconte que lors d’une discussion entre l'Etat et les indigènes du pays concernant leurs territoires, il a été expliqué aux indigènes que ces territoires leur appartiennent, mais que les ressources naturelles qui s'y trouvent appartiennent à l’Etat... Le gouvernement prévoit de rationaliser l'économie du pays et de développer l'industrie minière et de la palme africaine. Le pétrole ne sera pas en reste non plus. Comme on l'imagine, la situation en Arauca est loin d'être réglée. Il est clair que les organisations sociales vont poursuivre la lutte. Reste à voir aussi si certains seront tentés par les sirènes de Santos et comment la répression va continuer de s'exercer.
Pour toute information textes, photos, vidéo et audio sur ce paro et sur le reste :
Informations sur la situation sociale en Colombie :

[1] On entend par ce terme le fait de se faire interroger hors du protocole légal d’interrogatoire.
[2] En Colombie, cette description correspond à des paramilitaires.
[3] Notamment au moment du scandale des «faux positifs»