jeudi 30 juin 2011

La libération d'Ingrid Betancourt payée 100.000.000 $ ?

Coïncidence de l'actualité, alors qu'à Paris la presse s'interroge pour savoir si une rançon a été payée pour obtenir la libération hier matin des deux journalistes de France 3, Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier (que nous sommes, au passage, soulagés de voir revenir vivants de cette longue épreuve), otages depuis 18 mois en Afghanistan, en Colombie la même polémique vient de surgir autour de la libération il y a trois ans d'Ingrid Betancourt et de 14 militaires otages des FARC ( Forces Armées Révolutionnaires de Colombie, principal mouvement de guérilla colombien, marxiste).

Bogotá, le 29 juin 2009. Panneau commémoratif de l'armée colombienne à l'approche du premier anniversaire
de l'Opération militaire Jaque, un "Orgueil pour toujours". Photo : D. Fellous/Libre arbitre

Tout le monde se souvient de l'Operación Jaque (l'Opération Échec), menée par l'armée colombienne le 2 juillet 2008. Ce jour là, des soldats déguisés en guérilleros, en journalistes, et en médecins réussissaient à exfiltrer la franco-colombienne, prisonnière des FARC depuis plus de six ans, et ses compagnons de détention, trois agents américains et onze soldats et policiers colombiens, sans avoir eu à tirer un seul coup de feu. Grâce à ce stratagème digne d'un épisode de "Mission Impossible"  - et qui soit dit en passant constituait un crime de guerre, l'utilisation du logo du CICR (Comité International de la Croix Rouge) par des soldats pour tromper l'ennemi constituant une violation de la Convention de Genève... - les soldats réussissait à convaincre César, le responsable du Front N°1 des FARC et son lieutenant Gafas, de monter avec leurs otages dans un hélicoptère de l'armée peint en blanc, sous prétexte de les emmener rencontrer le grand chef, Alfonso Cano. Une fois en vol, les gardiens, qui ne se doutaient de rien, sont facilement maîtrisés, et tout le monde peut aller à Bogotá, remercier Dieu, le président Alvaro Uribe et son ministre de la Défense, un certain Juan-Manuel Santos. Une opération parfaite...

Barranquilla, le 21 février 2009. Sur ce char du carnaval de Barranquilla évoquant l'Opération Jaque, les personnages ont revêtu
les costumes, de gauche à droite, du Général Padilla, le chef des Forces armées colombiennes, d'Ingrid Betancourt, et de son
geôlier des FARC, Gafas (Lunettes). "L'opération Jaque, c'est l'intelligence parfaite". Photo : D. Fellous/Libre arbitre

"Une opération pas si parfaite que ça", si l'on en croit le documentaire ainsi titré présenté hier en  Equateur par le journaliste colombien Gonzalo Guillén, qui entend démontrer que l'Opération Jaque a été plus financière que militaire. Reprenant la piste évoquée par les journalistes français Roméo Langlois et Pascale Mariani dans leur reportage "Histoire secrète d'une libération", diffusé dès novembre 2008 sur Canal + ( et que vous pouvez voir en streaming ici, sauf si comme moi vous êtes l'heureux possesseur d'un mac), qui mettait à mal la version officielle en parlant d'un avocat, Carlos Toro, contacté par Gafas quelques semaines avant les événements pour négocier leur non-extradition vers les Etats-Unis en cas d'arrestation, Gonzalo Guillén va encore plus loin puisqu'il affirme que la libération des otages a été négociée 100 millions de dollars avec leurs geôliers !!

Barranquilla, le 22 février 2009. Ces participants au carnaval déguisés (de
droite à gauche) en Ingrid Betancourt, en Alfonso Cano, le chef des FARC,
en Gafas, et en un intermédiaire vénézuelien, remettent en cause la version
officielle de l'Opération Jaque, en suggérant que l'otage franco-colombienne
a été rachetée par la France (et le président Sarkozy) aux guérilleros
en échange d'un très gros chèque. Photo : D. Fellous/Libre arbitre
D'après le journaliste,  Gerardo Aguilar, alias César, et Alexander Farfan, alias Gafas (Lunettes), les deux guérilleros commandant la colonne chargée de garder les otages des FARC, auraient profité du silence radio imposé par la peur d'être repérés et bombardés et qui avaient distendu les contacts avec la direction centrale du mouvement pour entrer en relation avec l'avocat afin de vendre les otages. Ce sont eux-même qui auraient ainsi orchestré l'opération de libération, détaillée dans un manuel qui prévoyait notamment leur fuite immédiate dans le même hélicoptère que les otages, comme garantie de sécurité contre des représailles. Pour preuve de leur bonne foi, ils auraient révélé l'emplacement d'une cache d'arme, ainsi que d'une autre contenant plus de 560.000 dollars.

Plusieurs questions se posent alors : Où est cet argent ? Que s'est-il passé avec celui qui aurait été promis aux deux déserteurs ? Et surtout où sont César et Gafas aujourd'hui ? César a été extradé aux USA en juillet 2009, suivi deux mois plus tard par son épouse, mais comme le faisait déjà remarquer Noticias Uno, une TV colombienne,  dans un programme d'informations diffusé en février, ils n'apparaissent ni l'un ni l'autre dans le registre PACER, qui répertorie les détenus des prisons américaines...Quand à Gafas, il est supposé être emprisonné en Colombie, mais Gonzalo Guillén assure qu'il y a des également des doutes sur sa localisation. Enfin, pour ce qui est du "mobile", de la part des autorités à un tel mensonge, le journaliste souligne que l'opération a eu pour effet indirect mais immédiat de faire grimper la popularité de Santos assez haut pour être élu à la présidence à la suite d'Uribe, une popularité qui était alors entachée par le scandale des Faux Positifs, ces milliers de civils assassinés par les militaires et présentés comme des insurgés tués au combat afin de gonfler les chiffres de la lutte anti-guérilla.

Les réactions ne se sont pas faites attendre : l'ex-président Uribe a parlé d'une "infamie", l'ex-commandant des Forces Armées Colombiennes (et aujourd'hui ambassadeur de Colombie en Autriche), le général Padilla, d'une "escroquerie", et quant à l'ex-ministre de la Défense (devenu depuis le président de la République) Juan-Manuel Santos, il n'a pas non plus mâché ses mots : "Cela n'a ni queue, ni tête (...) Il y a des idiots utiles, parfois pas si idiots, qui font le jeu de la guérilla." De leurs côtés, le Département d'État américain a assuré que César était détenu dans une prison de Chicago, pour des charges liées au trafic de drogue, et l'INPEC (l'Administration Pénitenciaire colombienne) que Gafas est bien emprisonné dans le Quartier de Haute Sécurité de la Picota, à Bogotá, accusé de séquestration.

Alors que croire ? 
  
La version lisse et officielle d'une opération risquée mais parfaitement réussie, exécutée sans aucune aide extérieure par l'armée colombienne, et qui a "humilié les FARC", selon les mots du président ?

Ou celle, un peu plus romanesque (quoique...) mais pas beaucoup moins crédible, du deal avec des cadres moyens de la guérilla, fatigués de la clandestinité, et espérant échapper à la mort, et à la prison, en rêvant même de peut-être s'enrichir au passage ?

Personnellement j'ai une troisième théorie, basée sur l'intuition plus que sur des faits précis je le concède, mais qui me parait plus logique et plutôt plus réaliste que les deux précédentes. Je la développerai peut-être ici un de ces jours. En attendant, permettons nous tout de même de remarquer, au crédit du journaliste, que la révélation le 29 avril dernier par Wikileaks d'un câble diplomatique secret nous a permis d'apprendre qu'un télégramme avait été envoyé par l'ambassade américaine à Bogotá le 24 juin 2008, soit une semaine seulement avant l'opération, annonçant que César était prêt à se rendre avec les otages contre une possibilité de se réfugier en France avec sa fille et sa femme, capturée cinq mois plus tôt, et que le processus de négociation avec l'armée et l'Église était déjà très avancé.

Peut-être bien qu'à la place d' "Opération Échec" il eut été plus approprié de l'appeler "Opération Poker Menteur"....

PS : Le téléscopage de nouvelles continue, et j'apprends à l'instant que Brad Pitt serait pressenti pour incarner le sauveur d'Ingrid Betancourt et des otages américains dans une superproduction de la Warner : The Mission. Voilà qui va probablement donner encore une autre version des faits, car je doute qu'un scénario écrit à Hollywood suive la théorie officielle qui dément toute participation américaine à l'opération...


dimanche 26 juin 2011

La Gay Pride 2011 à Bogotá

Comme chaque année, plusieurs dizaines de milliers de manifestants ont défilé aujourd'hui à Bogotá à l'occasion de la Marcha del Orgullo Gay, la Gay Pride.

Bogotá, le 26 juin 2011. Participants à la Gay Pride. Photo : D. Fellous/Libre arbitre

Plus de 40.000 personnes ont parcouru la Carrera Septima, une des principales artères de la capitale colombienne. Lesbiennes, gays, bisexuel(le)s, et transsexuel(le)s, mais aussi de très nombreux hétéros, venus soutenir les libertés sexuelles ou parfois en curieux, se pressant autour des trans les plus exubérant(e)s pour les photographier avec leurs téléphones portables, mais aussi souvent pour se faire prendre en photo avec.

Bogotá, le 26 juin 2011. Un nombreux public est venu assister au défilé de la Gay Pride. Photo : D. Fellous/Libre arbitre

Certaines mères de famille envoyaient même leurs enfants poser avec des travestis à moitié nus, voire tenir l'énorme sexe factice d'un manifestant déguisé en extraterrestre lubrique...

Bogotá, le 26 juin 2011. Des enfants posent pour leur maman avec un participant à la Gay Pride. Photo : D. Fellous/Libre arbitre

Au delà du spectacle, la marche d'aujourd'hui était principalement orientée vers la réclamation de la reconnaissance légale du mariage gay, après son approbation hier par le Sénat de New-York.

Bogotá, le 26 juin 2011. Participants à  la Gay Pride.
Photo : D. Fellous/Libre arbitre
En effet, si les unions civiles homosexuelles sont reconnues en Colombie, comme en France mariage et adoptions restent réservés aux couples hétérosexuels (ou aux célibataires et veufs/veuves, pour ce qui est de l'adoption, rendant peu compréhensible l'argument avancé par certains opposants à l'adoption par des couples homosexuels de la nécessité pour l'équilibre psychologique de l'enfant d'avoir un père et une mère).  Cependant  les jugements successifs rendus ces dernières années par la Cour Constitutionnelle et qui accordent progressivement aux minorités sexuelles l'égalité des droits sur plusieurs points, comme par exemple l'affiliation par le conjoint à la Sécurité sociale, permettent d'être optimistes sur l'évolution de ces revendications dans un futur proche, malgré l'influence que conserve l'Église catholique dans ce pays très religieux (même si la Colombie est officiellement un État laïc) et l'opposition hargneuse de la droite catholique à ce type d'évolutions sociétales.

Il est toutefois à noter que certains groupes évangéliques, tels que l'Église Casa Abba Padre, affirment leur ouverture à la communauté LGBTI+H, en distribuant un fasicule intitulé : "Qu'a dit Jésus à propos de l'homosexualité ?.... Rien ! " et en rappelant que ce mot n'est apparu qu'en 1869, et que les passages de la Bible utilisés pour condamner l'homosexualité sont des interprétations erronées de condamnations de l'idolatrie, de l'hérésie, ou d'actes considérés impurs comme la prostitution, mais que par exemple il n'y a pas de mot désignant la sodomie en hébreu, donc que l'Ancien Testament ne peut par conséquent pas l'interdire.

Sous des pancartes célébrant les "Familles de mille couleurs", les couples se faisaient photographier en habit de mariage avec un phylactère de carton proclamant "Ma famille est légitime, et je la veux légale", ou bien "Nous trouverons le moyen, et sinon, nous le créerons".
 
Bogotá, le 26 juin 2011. "Ici, oui il y une famille. Nous trouverons un chemin, et sinon nous le créerons". Photo : D. Fellous/Libre arbitre


Bogotá, le 26 juin 2011. "Folle", "Gouine" disent les étiquettes portées
par  ces participants à la Gay Pride. Photo : D. Fellous/Libre arbitre

Autre leitmotiv de la journée, les slogans contre le procureur Alejandro Ordóñez, fervent adversaire de l'adoption par les couples homosexuels, mais aussi de l'avortement, et en général des droits des minorités sexuelles, dont il avait qualifié les pratiques de "conduites contraires au Droit Naturel comme au Droit Divin" dans un livre publié en 2003. Il y a peu, après ses virulentes critiques de décisions de la Cour Constitutionnelle autorisant l'avortement dans quelques circonstances (très restreintes : viol, etc..) ou accordant de nouveaux droits aux couples de même sexe, un avocat avait du lui rappeler ses cours de Droit "La loi sur les droits des femmes n'est pas celle que vous voulez, c'est ce que la loi dit (...) Si la Constitution ne vous plaît pas, il y a une solution, vous pouvez démissionner".
 

Bogotá, le 26 juin 2011. Participants à la Gay Pride. Photo : D. Fellous/Libre arbitre

Entre les cortèges des diverses associations LGBTI, on a pu noter la présence remarquée du Sénateur du Polo Democratico Alternativo (Gauche plurielle) et ex-candidat à l'élection présidentielle Gustavo Petro, venu appuyer les revendications des minorités sexuelles et aussi récolter quelques signatures pour se lancer dans la course à la mairie de Bogotá.

Bogotá, le 26 juin 2011. Le sénateur Gustavo Petro (à gauche) sur la place Bolivar en appui à la Gay Pride.
Photo : D. Fellous/Libre arbitre

Une mairie qui était également présente lors du défilé, à travers le programme Bogotá Positiva, et la campagne "Politique Publique pour la Pleine Garantie des Droits des Lesbiennes, Gays, Bisexuels et Transgenres", destiné à combattre les discriminations institutionnelles.

Employés du programme "Bogotá Positive" de la mairie pendant la Gay Pride avec une banderole "À Bogotá, on peut être transgenre".
Photo : D. Fellous/Libre arbitre


jeudi 16 juin 2011

Le travail c'est la santé

Aujourd'hui, 19 mineurs de charbon et ouvriers du secteur de la construction et de l'industrie du tabac originaires de la région de Cúcuta, dans le Norte de Santander, près de la frontière vénézuélienne, tous victimes d'accidents de travail, se sont rassemblés sur la place Bolivar à Bogotá pour réclamer la reconnaissance de leur invalidité et le paiement d'indemnisations.

Bogotá, le 16 juin 2011. Mineurs victimes d'accidents du travail sur la Plaza Bolivar pour réclamer le paiement de pensions d'invalidité.
"1. Plus de violation des droits fondamentaux. 2. Droits à une vie digne et à l'égalité (mineurs malades). 3. Plus de violation
de la Loi 776, Loi 1295, Décret 52.10, Loi Antidémarche et de la Loi 100. 4. Oui aux Droits de l'Homme."
Photo : D. Fellous/Libre arbitre

Bien qu'ils aient cotisé auprès de plusieurs EPS, (entreprises promotrices de santé,  sorte de mutuelles privées chargées du financement des soins de leurs affiliés) telle que Saludcoop, Saludtotal ou Coomeva, ils n'ont pas bénéficié de l'attention qu'ils considèrent devoir recevoir de leur part en application de la Constitution et des lois sur la santé, la protection sociale et le minimum vital, notamment la loi 100 (voir sur ce sujet le reportage sur la manifestation contre la corruption dans les EPS, et les articles de Sara G. Mendeza qui traitent du scandale qui affecte leur gestion et de la crise de la santé en Colombie).

Ils réclament le paiement de la sécurité sociale intégral, et le droit à une vie digne, à travers une requalification adaptée à leur handicap. Certains d'entre eux attendent sans aucune ressources depuis près d'un an la reconnaissance de leur invalidité, et du même coup la pension qui va avec, alors que ce processus est censé prendre moins d'un mois, et que des jugements ont été rendus en leur faveur après qu'ils aient fait recours contre ces dysfonctionnements, jugements qui ont été ignorés par les EPS concernées.

Dimas Cruz Mesa (et non Grumesa comme l'a nommé le site d'El Tiempo...) est l'un de ces accidentés. Victime d'un éboulement dans la mine où il travaillait, il se déplace aujourd'hui en fauteuil roulant, et a décidé avec 12 mineurs également handicapés et d'autres victimes d'accidents du travail de venir jusqu'à la capitale faire valoir ses droits devant les plus hautes autorités du pays. Comme il nous le raconte (en espagnol) dans la vidéo ci-dessous, parole leur a été donnée qu'ils allaient être reçu ce soir par le vice-président, nous tâcherons de savoir si cette promesse a été tenue, et quelles suites ont été données à leurs revendications afin d'en rendre compte ici.
 


© D. Fellous/Libre arbitre



PS: Impossible de comprendre pourquoi le début de la vidéo est déformé comme ça, je l'ai uploadé 10 fois sur Youtube avec le même résultat, si un expert avait une idée de la cause (l'original n'a pas ce problème) et de la façon d'y remédier, je lui serais très reconnaissant de ses commentaires éclairés.